Piganiol de la Force : prémices aux guides de voyage (XVIIIe)
Jean Aymar Piganiol nait à Aurillac le 23 septembre 1669 , fils de Pierre Piganiol et de Marguerite Parisot. Son père, riche marchand, membre de la bourgeoisie aurillacoise, a su faire fructifier sa fortune par le rachat de rentes et de créances à la petite noblesse locale . Marguerite Parisot descendait, quant à elle, d’une vieille famille qui avait compté plusieurs consuls aurillacois et de nombreux gens de robe, propriétaire depuis 1652 du fief de la Force, situé à proximité du village de Rouffiac, paroisse de Saint-Simon. Les premières années du jeune Jean Aymar restent méconnues, sa mère décède en couche le 4 novembre 1680, faisant de lui l’unique héritier du fief de la Force à l’âge de 11 ans. En 1698, il entre au service de Louis-Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse et prince de France, sixième et dernier enfant de Louis XIV et de Mme de Montespan. Il devient gouverneur de son école de pages, fonction qu’il occupera pendant 39 ans. Cette charge et la protection du prince lui permettent de vivre à Versailles, de fréquenter la Cour et d’avoir accès à de nombreux travaux dans tous les domaines du savoir. Il accompagne son protecteur dans de nombreux voyages qu’il mettra à profit dans ses futures publications.
Il publie ses premiers ouvrages dès 1701, parmi lesquels sa « Nouvelle description des châteaux et parcs de Versailles et de Marly » en 2 volumes, dont un exemplaire est présenté ici. Il s’agit de la huitième édition parue en 1751. En effet, cet ouvrage rencontre un tel succès, qu’il sera réédité à plusieurs reprises. Il se veut « une explication historique de toutes les peintures, tableaux, statues, vases et ornements qui s’y voyent ; leurs dimensions, et les noms des Peintres, des Sculpteurs et Graveurs qui les ont faits ». Il ne limite toutefois pas à une description savante : « j’y ai fait entrer la Fable et l’Histoire. Si je n’écrivois que pour des Sçavans, j’avoue que je me serois épargné cette peine : mais on se doit à tout le monde ». Sans pour autant concéder à la précision de ses recherches, il manifeste une volonté de vulgarisation. En témoignent les nombreux plans, gravures, élévations ou coupes, qui accompagnent son ouvrage.
Poussé par ce premier succès et inspiré par ses nombreux voyages, Piganiol s’attèle à une œuvre encore plus ambitieuse : « Une nouvelle description de la France ». Après plusieurs années d’un travail d’érudition, en 1718, il publie une première édition en six volumes. C’est un nouveau best-seller comprenant plusieurs éditions successives remaniées, corrigées et amplifiées. Les Archives du Cantal conservent l’édition de 1753-1754 en 13 volumes dont le onzième tome « Gouvernement du Lyonnois, de l’Auvergne, du Limousin, de la Marche et du Berry ». Cette œuvre monumentale a pour ambition de décrire « le gouvernement général de ce royaume, celui de chaque province en particulier ; et la description des Villes, Maisons royales, Châteaux, et Monuments les plus remarquables ». La description de l’Auvergne, au chapitre XXII, comporte près de 300 pages accompagnées d’une carte dressée par le géographe Baillieul.
Après une longue introduction géographique et historique de cette province, Piganiol en décrit les modes de gouvernement ecclésiastiques, civils et militaires, avant de terminer par une présentation de ses villes et lieux les plus remarquables, pour la Haute-Auvergne : Saint-Flour, Chaudes-Aigues, Pierrefort, Allanche, Mauriac, Salers, Pleaux, Laroquebrou, Aurillac, Marcolès, Maurs, Carlat, le château de Cropières à Raulhac, Vic-sur-Cère… Pour exemple, Allanche est décrite comme « une petite ville située dans un vallon, au pied de la Montagne de Luguet. L’église paroissiale est sous l’invocation de saint Jean-Baptiste, et du Diocèse de Clermont. Son clocher est couvert de plomb. On dit qu’elle possède un os de la hanche de saint Jean-Baptiste, et que c’est de cette relique qu’elle a pris le nom d’Allanche […]. On tient deux foires tous les ans dans le lieu de Maliargues ; l’une le jour de saint Barnabé au mois de juin, et l’autre au mois d’octobre, le jour de saint Géraud, cette dernière dure pendant trois jours ; et il se fait dans l’une comme dans l’autre un grand commerce de bestiaux ». Comme on peut le constater, son œuvre se rapproche d’un genre littéraire encore balbutiant à cette époque : le guide de voyage. Etymologiquement, le mode « guide » désigne « un ouvrage qui indique le chemin ». Les premiers guides furent conçus pour aider les pèlerins en route vers Saint-Jacques-de-Compostelle ou Rome. En ce sens, Piganiol publia dès 1724 « Nouveau Voyage de France. Avec un itinéraire, et des cartes faites exprès, qui marquent exactement les routes qu’il faut suivre pour voyager dans toutes les Provinces de ce Royaume » dont les Archives conservent la première édition.
Dans son Introduction à la Description de la France rééditée en 1752, Piganiol dit « avoir toujours été surpris, que parmi tant d’écrivains que le règne de Louis le Grand a produits, il ne s’en soit point trouvé qui ait voulu nous faire connaître l’intérieur d’une monarchie, qui, depuis tant de siècles, fait une si grande figure dans le monde, et que nous n’ayons pas encore une description particulière de la France qui mérite d’être lue ». Il reconnaît qu’une « bonne description de la France est d’ailleurs difficile à faire », « pour l’exécution de ce dessein, j’ai consulté tout ce qu’il y a d’imprimé et un grand nombre de mémoires manuscrits que j’ai ramassés de tous côtés ». Comme le prouve sa correspondance, étudiée par André Muzac, il n’hésitait pas non plus à faire appel à des érudits locaux pour préciser ses recherches. « Son amour de la patrie », le « goût pour ce genre d’érudition » et la « gloire de montrer le chemin » l’encouragèrent à poursuivre cette voie pendant plus de 50 ans. Ses ouvrages, devenus de véritables classiques, lui conférèrent une grande notoriété et firent référence tout au long des XVIIIe et XIXe siècles.
Cotes ADC : 3 BIB 503, 3 BIB 508 et 1 BIB 5468.
Texte rédigé par Nicolas Laparra
[1] Acte de baptême conservé aux Archives départementales du Cantal : https://archives.cantal.fr/ark:16075/1efb610ee0b76bdcbad60050568bfe75.fiche=arko_fiche_5fc4d77aeb266.moteur=arko_default_5f8ef8b61e0d4
[1] « Jean-Aymard Piganiol de la Force 1669-1753 (notes biographiques et bibliographiques) » par André Muzac dans Revue de la Haute-Auvergne, 1961, p. 281-309
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