Noël sanglant à Boisset (1791)
Ce 25 décembre 1791, à trois heures du soir, les administrateurs du département du Cantal sont réunis en assemblée, lorsqu’une députation du comité militaire de la garde nationale d'Aurillac s’annonce. Un attentat vient d’être commis sur la personne de Pierre Dommergues, curé constitutionnel de Boisset : « dans le temps que ce curé célébrait la Messe, il a été atteint d'un coup de fusil lâché hors de l'enceinte de l'église[1] ». Pierre Dommergues naît à Lapeyrusse, commune d’Arpajon-sur-Cère, en 1756 ; il est ordonné prêtre du diocèse de Saint-Flour en 1782. Ouvert aux idées nouvelles, il n’hésite pas à prêter serment à la Constitution civile du clergé[2]. Cette dernière, adoptée par un décret de l'Assemblée nationale constituante, le 12 juillet 1790, réorganise complétement l’Eglise de France. Les biens de l’Eglise sont nationalisés, les évêques et curés sont désormais élus et deviennent des agents publics au service de l’Etat. S’opposent alors deux Eglises, un clergé dit constitutionnel, composé de clercs ayant prêtés serment, et un clergé dit réfractaire refusant de se soumettre à la Constitution civile. Les prêtres réfractaires ou « insermentés » sont très nombreux et la plupart prennent le parti de la contre-révolution, soutenus en cela par une frange de la population. Dans le département, les troubles sont fréquents, particulièrement dans la Châtaigneraie cantalienne où prêtres constitutionnels et prêtres réfractaires s’affrontent parfois violemment.
Suite à sa prestation de serment, Pierre Dommergues est nommé curé de la paroisse de Boisset par l’Assemblée électorale du district d’Aurillac le 2 mai 1791. Il entre assez rapidement en conflit avec l’abbé Rieu, prêtre réfractaire, l’empêchant de célébrer la messe en l’église paroissiale en lui refusant l’accès à la sacristie. Le 29 octobre 1791, les administrateurs du district d’Aurillac le rappellent à l’ordre, la loi du 13 mai 1791 stipulant que « le défaut de prestation de serment ne pourra être opposé à aucun prêtre se présentant dans une église paroissiale seulement pour y dire la messe[3] ». Les choses s’enveniment, jusqu’à cette nuit de Noël, où Pierre Dommergues est victime d’un coup de feu en pleine messe. Pour les représentants de l’assemblée départementale, l’origine de cet attentat ne fait aucun doute : « Un tel délit annonce qu’il existe dans cette paroisse un fanatisme outré qui pourrait se propager si l’on ne s’empressait d’en détruire la cause […] qu’on ne peut l’imputer qu’aux curés et vicaires non assermentés résidant dans leurs anciennes paroisses ou aux environs ». Considérant qu’il est « du devoir d’une assemblée administrative de rétablir l’ordre et la paix troublés », ils arrêtent : « qu’il sera nommé, parmi les membres, un commissaire, à l’effet de se transporter demain au lieu de Boisset, pour y prendre les informations les plus exactes, sur l’attentat commis la nuit dernière », « que ce commissaire sera assisté d’un détachement de cinquante hommes de la garde nationale d’Aurillac, de vingt-cinq hommes de la garde nationale d’Arpajon, et d’autres vingt-cinq hommes au plus, pris dans les gardes nationales des différentes communes qui sont sur la route » et « que les ci-devant curé et vicaire de la paroisse de Boisset, seront tenus de s’en éloigner provisoirement ». Une nouvelle députation de la garde nationale d’Aurillac informe alors l’assemblée que les gardes nationaux d’Arpajon se sont déjà rassemblés en nombre « dans le dessein de se rendre pendant la nuit en cette ville, et de se réunir à sa Garde Nationale, pour d’ici se transporter tous ensemble au lieu de Boisset ». L’Assemblée souhaitant éviter une escalade de violence, écrit immédiatement aux officiers municipaux d’Arpajon. Si elle remercie la garde nationale de son « zèle » et « accepte avec empressement son assistance », elle leur demande, avec la plus grande diplomatie, de n’envoyer que vingt-cinq hommes au plus « pour ne pas fatiguer inutilement nos braves frères d’armes et pour ne pas exposer le détachement à manquer de vivres[4] ».
Le représentant Lafont est nommé commissaire. Il part pour Boisset le 26 décembre, assisté d’une centaine d’hommes des gardes nationales d’Aurillac, Arpajon et de Saint-Mamet. A charge pour lui de tenter de « prendre des renseignements exacts sur l’attentat commis contre la personne du sieur Dommergues ». A son retour, le 28 décembre, il rapporte à l’assemblée départementale « qu’il n’était que trop vrai que le délit avait été commis ; que le sieur Curé était grièvement blessé au côté gauche ; que le Juge de Paix du canton de Maurs s’était rendu sur les lieux, pour dresser procès-verbal du délit et prendre les informations qui pourraient faire découvrir le coupable ; qu’on n’en avait encore acquis aucune connaissance légale ; mais que le bruit public seulement paraissait accuser le fanatisme d’avoir été la cause impulsive de cet attentat ; qu’au surplus la tranquillité était parfaitement rétablie dans la paroisse de Boisset[5] ». Il semble que l’auteur de cet attentat n’ait jamais été retrouvé, quoi qu'il en soit, les archives ne gardent aucune trace d’éventuelles suites judiciaires. Pierre Dommergues se remit de sa blessure, il dut quitter Boisset et fut nommé curé de Saint-Paul-des-Landes le 25 mars 1792. Son destin est toutefois peu commun. Au fil des mois, les tensions religieuses s’amplifient, les révolutionnaires adoptent plusieurs mesures de déchristianisation au profit du culte de la Raison et de l'Être suprême. Les prêtres doivent rendre leurs lettres de prêtrise et se « déprêtiser ». Pierre Dommergues s’y oppose publiquement. Dénoncé comme suspect, il choisit de fuir en Espagne. Il est arrêté peu avant la frontière par l’armée républicaine des Pyrénées-Orientales. Hasard incroyable, le représentant en mission à la tête de cette armée n’est autre que Jean-Baptiste Milhaud, député du Cantal à la Convention, et surtout compatriote et ami de Pierre Dommergues. Milhaud atteste de son civisme et rappelle les « persécutions de tous genres qu’il a éprouvées de la part des fanatiques, particulièrement en éprouvant un coup de feu de leur part pour avoir rempli les fonctions que la loi exigeait de lui ». Mais il ne se contente pas de le faire délivrer et le nomme par un arrêté en date du 30 thermidor an II, juge militaire auprès du Conseil de guerre. Quelques mois plus tard, Pierre Dommergues retourne dans le Cantal où il est nommé professeur de législation à l’Ecole centrale du département le 6 fructidor an IV[6].
Cotes ADC : L 20 et L 77
Texte rédigé par Nicolas Laparra
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[1] Cote ADC : L 20, page 351
[2] Pierre Dommergues. Curé constitutionnel par Marcel Dommergues, Revue de la Haute-Auvergne, 1945, pages 69-73
[3] Ibid
[4] Cote ADC : L 77
[5] Cote ADC : L 20, page 374
[6] Ibid
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