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La grande sécheresse de 1893 : Pierre Marty, un précieux témoin !

Inondations, glissements de terrain, tempêtes, grêles, sécheresses, canicules, le territoire cantalien est exposé à de nombreux risques naturels qui vont en s'amplifiant sous l'effet du changement climatique. Mais si ces phénomènes climatiques sont de plus en plus violents et de plus en plus fréquents, ils ne sont pas pour autant nouveaux. Les Archives du Cantal conservent de nombreux témoignages de catastrophes passées. Une partie d’entre eux vous seront présentés, du 14 octobre au 8 novembre, dans le cadre d’une nouvelle exposition : « Le Cantal face aux risques – Ça s’est déjà produit hier… et demain ? Saurez-vous réagir ? ». En lien avec cette dernière, le document du mois d’octobre témoigne de l’une de ces catastrophes : la grande sécheresse de 1893.

Cette année-là, la sécheresse frappe durement le Cantal dès le printemps. Le 27 avril 1893, Le Moniteur du Cantal, s’en fait l’écho : « La campagne souffre cruellement de la sécheresse prolongée et l’inquiétude augmente tous les jours. Voici, en effet soixante jours que la pluie n’est pas tombée. [...] la période exceptionnelle de sécheresse que nous traversons n’a pas d’exemple dans nos régions depuis qu’on recueille régulièrement les observations météorologiques »[1]. Les Archives du Cantal conservent un témoignage précieux de cet épisode : les relevés météorologiques effectués par Pierre Marty, célèbre naturaliste et botaniste cantalien. Ce véritable, touche-à-tout, à la fois poète, peintre, dessinateur, photographe, naturaliste ou archéologue, s’est aussi intéressé à la météorologie. C’est ainsi qu’il effectue régulièrement des relevés, chez lui au château de Caillac (commune de Vézac), pour le compte de la commission météorologique départementale. Par chance, les cartes pour l’enregistrement des observations des mois d’avril et mai 1893 ont été conservées[2]. Pour le mois d’avril, il ne relève que deux jours de précipitations avec un total pluviométrique plus que faible de 0,006 exprimé en mètre soit 6 mm. Heureusement, grâce à plusieurs épisodes orageux, le mois de mai est nettement plus arrosé avec un total 113 mm. En comparaison, les données météos pour Aurillac entre 1981 et 2010, donnent des précipitations moyennes de 115,5 mm pour le mois d’avril et de 118,4 mm pour le mois de mai, qui sont communément les deux mois les plus pluvieux de l’année[3]. Les records de sécheresse sur cette période sont de 14,9 mm pour les mois d’avril 1982 et de 32,8 mm pour le mois de mai 1991. Le mois de mai 1893 est certes proche des moyennes de saison mais il ne suffit pas à rattraper un mois d’avril exceptionnellement sec et chaud.

 Observations de avril 1893 (1 J104/1)

Pierre Marty ne se contente pas de remplir les cartes d’observations à destination de la commission météorologique, il consigne aussi ses relevés hebdomadaires dans des carnets personnels, en les enrichissant de nombreuses annotations[4]. Plus riches et plus éloquentes que de simples relevés, elles permettent d’avoir le ressenti d’un témoin direct des évènements. Pour le mois d’avril, il note « Ce mois est remarquable par sa grande chaleur et surtout par sa grande sécheresse ». Car non seulement le temps est sec mais il est aussi très chaud avec un maximum de 32° relevé le 22 avril. Les relevés s’effectuent avec deux thermomètres à maxima et à minima disposés au nord, à une certaine distance des murs, et protégés de la pluie et du soleil par un abri. Il s’agit donc bien de températures sous abris assez comparables aux relevés météos actuels. Sur la période 1981-2010, le record pour un mois d’avril à Aurillac est de 26,5°. Ce mois d’avril 1893 est historique et les conséquences pour l’agriculture sont catastrophiques. Le 25 avril, Pierre Marty écrit « La sécheresse devient désastreuse. Le blé ne donne que 2 ou 3 épis par grains. […] Il n’y a pas d’herbe dans les prés ». Et si comme nous l’avons vu, le mois de mai est plus humide, l’accalmie est de courte durée. Le mois de juin « est remarquable par la persistance de la sécheresse, qui brûle sur pied presque tous les foins ». Il relève 11 jours avec une température maximale égale ou supérieure à 30°, dont 36° le 11 juin. A la fin du mois d’août : « La sécheresse est épouvantable. Elle tarit les mares et cause des dysenteries. Les sources même qui jamais ne baissaient sont taries […]. La rivière est presque à sec. Le regain est résorbé. La fleur de blé noir est brûlée ».

Observations de mai 1893 (1 J104/1)

 Observations de mai 1893 (1 J104/1)

Dans sa séance du 25 août 1893[5], le conseil général du Cantal « fait observer que le Cantal est un des départements particulièrement atteint par la sécheresse surtout à cause de la nature de sa production, le bétail ; […] les pertes causées par la sécheresse ont été évaluées à 10 millions, elles ont doublé depuis cette époque par suite de la persistance de la sécheresse ; à ce total de 20 millions, il y a lieu d’ajouter 1 200 000 francs de perte sur la culture du sarrazin ». La somme est considérable, selon le convertisseur franc-euro de l’INSEE, elle correspondrait à près de 90 millions d’euros actuels. Elle est surtout à mettre en regard de l’aide débloquée par le gouvernement d’un montant total de 5 millions de francs pour l’ensemble du territoire soit 55 000 francs pour le Cantal… « Jugez par-là de l’insignifiance du secours à nous accordé »[6].

extrait du carnet

Extrait du carnet à la date du 25 avril (1 J105/3)

Ces témoignages d’évènements passés conservés par les services d’Archives sont utiles aux scientifiques. Leur étude peut servir à établir des évènements de référence et ainsi aider à apprécier la gravité des sécheresses actuelles. L’exemple de la grande sécheresse de 1893 montre que des épisodes aussi extrêmes et aussi sévères que les événements récents se sont déjà produits par le passé[7].

Cotes ADC : 1 J 104/1 et 1 J 105/3 ; texte rédigé par Nicolas Laparra

[1] Le Moniteur du Cantal, n° 49, 27 avril 1893 (cote ADC : 2 Jour 35 ; https://archives.cantal.fr/ark:16075/1ed876d826c16e3cb5a70050568bb1e3.fiche=arko_fiche_616d42a07bbc9.moteur=arko_default_5fbfc22f55ae9)

[2] Archives de Pierre Marty (cote ADC : 1 J 104/1)

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Donn%C3%A9es_climatiques_d%27Aurillac

[4] Archives de Pierre Marty (cote ADC : 1 J 105/3)

[5] Cote ADC : 73 M 1

[6] Le Moniteur du Cantal, n° 88, 5 août 1893 (cote ADC : 2 Jour 35 ; https://archives.cantal.fr/ark:16075/1ed876d866a06da082ed0050568bb1e3.fiche=arko_fiche_616d42a07bbc9.moteur=arko_default_5fbfc22f55ae9)

[7] Sécheresses historiques : que nous enseignent les archives ? (https://theconversation.com/secheresses-historiques-que-nous-enseignent-les-archives-190503)

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